Étude archéométrique du verre du Ve au XIIe siècle en Bourgogne et Franche-Comté
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Étude archéométrique du verre du Ve au XIIe siècle
en Bourgogne et Franche-Comté
Inès PACTAT1
mots clés : haut Moyen Âge ; analyses chimiques ; verres sodiques au natron ; verres potassiques ; recyclage.
La Bourgogne et la Franche-Comté sont
demeurées deux régions peu étudiées par
l’archéologie du verre, en particulier pour la période
du haut Moyen Âge. Pourtant, la documentation
disponible est abondante et de qualité, suite au
développement depuis une vingtaine d’années
des opérations archéologiques menées sur des
structures de cette époque. Ce constat a motivé la
réalisation d’un mémoire de Master sur l’évolution
de la composition du verre daté entre le Ve et le
XIIe siècle, un travail universitaire dirigé par Pierre
Nouvel2 et Claudine Munier3. Après un inventaire
exhaustif des collections disponibles pour l’étude,
un lot de verres bien datés a été analysé par
spectrométrie de masse haute résolution couplée
à un plasma inductif avec prélèvement par
ablation laser (LA-HR-ICP-MS) au Centre Ernest
Babelon à Orléans4.
1.
Corpus d’étude (ig. 1)
1.1. Bourgogne
Cinquante-cinq
échantillons
analysés
par
spectrométrie de masse proviennent des fouilles
de sauvetage 12 rue Saint-Genest à Nevers
(Nièvre). Les verres sont datés entre le VIIe et le
XIIe siècle, la majorité étant attribuée à la période
carolingienne. Cette dernière est marquée par
la construction d’un grand bâtiment, interprété
comme le palais des hôtes de l’abbaye NotreDame (Saint-Jean Vitus 2007). Le lot étudié est
composé de quarante-deux éléments de vaisselle
et de treize fragments de verre plat souflés
en manchon, dont trois retouchés au grugeoir
(Munier 2009).
1.2. Franche-Comté
Notes
1 Maison des Sciences de
l’Homme et de l’Environnement
C. N. Ledoux (UMR 3124), CNRS/
Université de Franche-Comté,
Besançon.
2 Laboratoire Chrono-Environnement, UMR 6249, CNRS/
Université de Franche-Comté
Besançon.
3 Service municipal d’Archéologie
préventive de Besançon.
4 Analyses réalisées par Bernard
Gratuze (IRAMAT, UMR 5060,
CNRS/Université d’Orléans)
Le mobilier analysé découvert en Franche-Comté
est composé de six tessons de creusets de verrier
et de vingt-et-un éléments de verre plat souflés
en cylindre. Certains possèdent un ou plusieurs
bords retouchés au grugeoir, ce qui suggère leur
insertion dans une composition de type vitrailmosaïque. Onze fragments ont été découverts
dans des niveaux d’occupation ou de démolition
de l’église paléochrétienne du Clos du Château
à Mandeure (Doubs), édiiée à l’intérieur du
castellum dans le dernier quart du IVe siècle et
abandonnée au cours du VIe siècle (Cramatte,
Glaus, Mamin 2012). Trois tessons de creuset et
deux éléments de vitrail sont issus des fouilles
de la basilique funéraire Saint-Martin à Luxeuilles-Bains (Haute-Saône), construite au Ve ou VIe
siècle (Bully 2010). Les contextes de découverte
sont datés entre le VIIe et le IXe siècle.
Le mobilier de trois sites jurassiens a également
été ajouté dans cette étude. Il s’agit tout
d’abord de trois éléments de vitrail retrouvés
sur l’établissement rural à vocation artisanale
du Curtillet à Pratz (Billoin, Munier 2005). Trois
fragments de verre plat proviennent, quant à
eux, du site de hauteur du Gaillardon, Ménétrule-Vignoble, occupé entre le début du Ve et la
première moitié du VIe siècle (Gandel, Billoin
2011). Enin, le site du Camp du Château à Salinsles-Bains est représenté par trois tessons de
creuset de verrier et deux fragments de verre plat.
Le verre provient d’un habitat occupé aux VIe-VIIe
siècles et d’une église funéraire encore mal datée,
entre le VIe et le IXe siècle (Gandel 2010, 2011).
2.
Résultats (ig. 2)
2.1. Groupe 1 HIMT
Trois fragments de verre à vitre de coloration vert
olive appartiennent à ce groupe : ils proviennent
des sites de Mandeure et de Ménétru. Les verres
appartenant au groupe 1 HIMT se distinguent par
de fortes teneurs en fer, en titane et en manganèse.
Ils sont également riches en magnésie. Les sables
égyptiens sont naturellement riches en oxyde
de fer et en oxyde de titane, ce qui a incité les
chercheurs à y situer la production de ce verre brut
(Foy et al. 2003 ; Freestone 2005). En revanche,
l’oxyde de manganèse est en proportion trop élevé
– aux environs de 2 % – pour être naturellement
présent comme impureté : il résulte d’un ajout
volontaire du verrier et, combiné à l’oxyde de fer,
donne au verre cette teinte particulière vert olive
(Vichy et al. 2003,16).
2.2. Groupe 2, série 2.1
Les verres du groupe 2 se distinguent par
des teneurs importantes en fer, en titane et
en manganèse, mais dans des proportions
moindres que celles du groupe 1. Deux séries
ont été individualisées à l’intérieur du groupe
2, suggérant une évolution technologique. Les
teneurs en cuivre, en plomb et en antimoine sont
beaucoup plus élevées dans la série 2.2, preuve
de l’intensiication du recyclage de verre brisé à
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Bull. AFAV 2013
Pactat I.
Fig. 1 : localisation des
collections
inventoriées
selon le type d’occupation.
(© I. Pactat)
Fig. 2 : distinction des familles
chimiques à fondant sodique par les
teneurs en oxyde de zirconium (ZrO2)
en fonction des teneurs en oxyde de
titane (TiO2).
Fig. 3 : distinction des séries du
groupe 3 par les teneurs en oxyde
de manganèse (MnO) en fonction
des teneurs en alumine (Al2O3).
Étude archéométrique du verre du Ve au XIIe siècle en Bourgogne et Franche-Comté
partir du VIIe siècle (Foy et al. 2003, 46).
Dix-sept échantillons analysés ont pu être
rattachés à la série 1 du groupe 2. Parmi eux, six
éléments de verre à vitre découverts à Mandeure
sont datés des Ve-VIe siècles. Cinq fragments de
verre creux et un fragment de verre plat mis au
jour à Nevers proviennent de contextes attribués
au VIIe siècle, tandis que cinq autres individus ont
été découverts dans des niveaux de la seconde
moitié du IXe siècle. Sans atteindre les valeurs de
la série 2.2, les teneurs en oxyde de cuivre, de
plomb ou d’antimoine de ces derniers échantillons
sont supérieures à 100 ppm, attestant l’usage de
groisil.
Les individus du sous-groupe 2.1 ont en commun
une coloration variant du vert au jaune. Les
éléments les plus anciens, découverts à Mandeure,
sont bien conservés tandis que ceux plus récents,
mis au jour à Nevers, présentent différents états
d’altération, jusqu’à une opaciication quasicomplète dans deux cas.
2.3. Groupe 2, série 2.2
Seuls deux individus appartiennent à cette série
tardive du groupe 2 : il s’agit d’un bord de coupe
et d’un bord indéterminé découverts à Nevers,
associés à du mobilier des VIIIe-IXe siècles dans
des niveaux plus tardifs. Leurs teneurs en cuivre,
plomb, antimoine et étain sont supérieures à 500
ppm. Ces deux tessons de vaisselle sont bien
conservés, malgré quelques irisations de surface,
et arborent une coloration bleu-vert due à la
présence d’oxyde de cuivre.
2.4. Groupe 3, séries 3.1 et 3.2
Les verres du groupe 3 se distinguent de ceux des
groupes précédents par des teneurs en magnésie
et en oxydes de fer et de titane bien plus faibles.
Ce groupe, dit des « verres romains », est le plus
répandu, en Orient comme en Occident. Les
similitudes entre la composition de ces verres
et celle des productions de l’atelier de Jalame
(Palestine) ont amené à proposer le rivage syropalestinien comme origine géographique du
groupe 3 (Picon, Vichy 2003, 22-24, Freestone et
al. 2001 : Levantine I).
Presqu’un tiers du mobilier bourguignon et franccomtois analysé a été fabriqué à partir de verre
brut d’origine syro-palestinienne. À l’intérieur de ce
groupe 3, trois séries ont été individualisées pour
l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge (ig. 3).
Parmi elles, la série 3.1 se singularise par des taux
importants d’alumine et de soude, ainsi que par
la présence de manganèse comme décolorant.
Trois fragments de verre plat provenant du site
de Mandeure possèdent ces caractéristiques. Il
est cependant important de noter leurs très fortes
proportions d’antimoine (entre 0,12 et 0,27 %),
de plomb et de cuivre (supérieures à 500 ppm),
témoins de la pratique du recyclage.
La série 3.2 se distingue, quant à elle, par de
faibles teneurs en alumine et en chaux, ainsi que
par une proportion de soude supérieure aux deux
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autres séries. Deux fragments de verre plat ont pu
être rattachés à cette série : un élément de vitrail
incolore découvert à Ménétru et un fragment de
verre à vitre vert clair provenant de Pratz. Ces
verres sont datés des Ve-VIe siècles.
2.5. Groupe 3, série 3.3 (Levantine 1)
L’absence de manganèse comme décolorant
caractérise la série la plus tardive du groupe 3,
également identiiable par une faible teneur en
soude et par des proportions élevées en alumine.
Cinq échantillons analysés appartiennent à la
série 3.3. Deux d’entre eux ont été découverts à
Nevers, dans des niveaux de la seconde moitié
du IXe siècle : un bord de coupe et un fragment de
verre à vitre présentant une coloration naturelle
bleu clair et verdâtre. Les trois autres individus
sont des verres plats : un élément de vitrail de
couleur ambre provenant de Luxeuil-les-Bains
et deux fragments de verre plat issus du site du
Camp du Château à Salins-les-Bains. L’un d’eux
est verdâtre, tandis que l’autre, de teinte bleuvert, a été coloré par adjonction de bronze au
mélange : les pourcentages de cuivre et d’étain
en attestent (respectivement 3,37 % et 0,22 %).
2.6. Verres sodiques indéterminés
Vingt verres au natron de la in de l’époque
mérovingienne ou de l’époque carolingienne
n’ont pu être rapprochés d’une famille chimique
particulière. Seul un individu ne présente pas des
taux de cuivre, de plomb et d’antimoine supérieurs
à 100 ppm. Dans les autres cas, ces composants
attestent la pratique du recyclage. Les proportions
d’oxyde de titane et de zirconium montrent que
ces individus ont des compositions intermédiaires
entre celles des groupes 2 et 3, résultant ainsi
certainement de la refonte de plusieurs types de
verre.
Les analyses réalisées sur la couche de verre
présentent à l’intérieur des creusets découverts à
Luxeuil et à Salins ont démontré qu’il s’agissait
d’un verre à fondant minéral sodique. Cependant,
la contamination de la matière vitreuse par les
composants de l’argile et par les cendres du
foyer empêche une identiication plus précise.
On notera toutefois que, là encore, le cuivre, le
plomb, l’antimoine et l’étain dépassent 100 ppm.
2.7. Verres potassiques
Neuf des échantillons analysés sont des verres
à fondant végétal potassique. L’utilisation de ce
type de fondant est facilement identiiable par
des teneurs en potasse supérieures à celles en
soude. L’alumine et la magnésie sont également
présents en proportions élevées. Les individus
ont été découverts à Nevers, dans des contextes
datés entre la seconde moitié du IXe et le XIIe
siècle. Lorsque la matière vitreuse n’est pas
totalement altérée, on distingue une coloration
verte ou verdâtre, provoquée par l’oxyde de fer
(entre 0,94 % et 2,38 %).
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Bull. AFAV 2013
Conclusion
L’étude archéométrique menée sur le verre
du Ve au XIIe siècle découvert en Bourgogne et
Franche-Comté a permis d’apporter de nouveaux
éléments de comparaison à une problématique
beaucoup plus vaste sur l’évolution de l’artisanat
du verre à la in de l’Antiquité et au haut Moyen
Âge. Plusieurs phénomènes déjà reconnus sur du
mobilier méditerranéen et d’Europe occidentale
le sont également désormais dans deux régions
jusqu’alors peu étudiées. Il s’agit tout d’abord
de l’apparition, entre la in du IVe et le VIe siècle,
de deux groupes de composition différents du
groupe des verres syro-palestiniens, jusqu’alors
prédominant : les groupes 1 et 2 à fortes teneurs
en fer, titane et manganèse. On observe par la
suite une intensiication de la pratique du recyclage
Bibliographie
Billoin,
Munier
2005 :
Billoin
(D.),
Munier
(Cl.) : « L’établissement rural mérovingien de Pratz «Le
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Bully 2010 : Bully (S.) : « L’église Saint-Martin
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Luxeuil-les-Bains
(Haute-Saône),
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campagne », Bulletin du Centre d’études médiévales
d’Auxerre, 14, 2010, 39-43.
Cramatte, Glaus, Mamin 2012 : Cramatte (C.), Glaus
(M.), Mamin (Y.) : « Une église du 5e siècle dans le
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antique. Actes du colloque de l’AFAV, Aix-en-Provence
et Marseille, 7-9 juin 2001, Monographie Instrumentum,
24, Montagnac, Editions Monique Mergoil, 2003, 41-85.
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dir. : La route du verre. Ateliers primaires et seondaires
du second millénaire av. J.-C. au Moyen Âge, Lyon,
Maison de l’Orient méditerranéen-Jean Pouilloux, 2000,
65-93. (Travaux de la Maison de l’Orient méditerranéen,
33).
Freestone 2005 : Freestone (I. C.) : «The Provenance
of Ancient Glass through Compositional Analysis», in
Vandiver (P. B.), Mass (J. L.), Murray (A.) ed. : Materials
issues in art and archaeology VII, Warrendale, Materials
Research Society, 2005, 008.1 (Materials Research
Society symposium proceedings; 852).
Pactat I.
à travers une augmentation des pourcentages
de cuivre, de plomb et d’antimoine dans les
verres du groupe 2 (série 2) et par l’apparition
d’une série d’individus résultant de la refonte de
plusieurs types de verre. Ce phénomène précède
l’adoption du fondant végétal potassique qui a
vraisemblablement eu lieu avant le milieu du IXe
siècle à Autun (Velde 2009). Les verres de ce
type n’apparaissent que dans la seconde moitié
du IXe siècle à Nevers. L’importante quantité de
verres sodiques au natron découverts dans des
contextes du IXe siècle sur ce même site pourrait
témoigner de la persistance des importations
de verre brut ou de verre brisé à une période
relativement tardive, comme en atteste la série 3
du groupe 3 (Levantine 1).
Gandel 2010 : Gandel (Ph.), Fouille programmée sur le
site du Camp du Château à Salins-les-Bains, Rapport de
fouilles, SRA Franche-Comté, 2010. (Inédit).
Gandel 2011 : Gandel (Ph.), Fouille programmée sur le
site du Camp du Château à Salins-les-Bains. Recherche
sur les établissements de hauteur de l’Antiquité tardive
et du haut Moyen âge dans le département du Jura,
Rapport de fouilles, SRA Franche-Comté, 2011. (Inédit).
Gandel, Billoin 2011 : Gandel (Ph.), Billoin (D.) dir. :
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Picon, Vichy 2003 : Picon (M.), Vichy (M.) : « D’Orient
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durant le haut Moyen-âge », in : Foy (D.), Nenna (M.D.) ed., Échanges et commerce du verre dans le monde
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24, Montagnac, Editions Monique Mergoil, 2003, 17-31.
Saint-Jean Vitus 2007 : Saint-Jean Vitus (B.) : «Palais
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